Les récentes polémiques entre les gouvernements français et italien sur le sujet de l’immigration ne doivent pas prendre le pas sur les liens historiques et les intérêts économiques qui unissent l’Italie et la France, et ce, dans l’intérêt de l’Europe. Par Anne Mazoyer, présidente de FairValue Corporate & Public Affairs, et César Lesage, conseiller spécial en affaires publiques européennes et françaises auprès de FairValue Corporate & Public Affairs.

Au lendemain de la Journée de l’Europe, que nous célébrons pour la deuxième année consécutive dans la retenue et la gravité qu’impose le conflit entre la Russie et l’Ukraine, il apparaît plus que jamais nécessaire de nous souvenir des responsabilités que l’Histoire a déposées en legs à notre génération.

Cette responsabilité qui nous engage, c’est d’abord de se rappeler que le 9 mai n’est pas une date anodine : bien qu’elle commémore la Déclaration Schuman advenue 5 ans plus tard, l’Europe se célèbre chaque année au lendemain des festivités du 8 mai marquant la capitulation de l’Allemagne nazie. Cette date ouvre et marque symboliquement un nouveau chapitre de coopération et de paix qui perdure encore, pour la majeure partie du continent, malgré la guerre qui meurtrit l’Ukraine et qui nous affecte tous profondément. L’Europe est plus qu’une architecture institutionnelle, et le tragique nous le rappelle, elle est d’abord et avant tout une Maison Commune, et c’est bien à ce titre-là que ce qui se passe à Kiev ou même à Vladivostok ne nous est pas totalement étranger.

Coopération pacifique et mutuellement bénéfique

L’idée brillante de Robert Schuman a été de faire de la coopération pacifique et mutuellement bénéfique entre Etats les fondations de la paix durable de notre continent, en relevant ensemble des défis partagés. Cet équilibre demeure toutefois fragile, et, on le constate, l’éloignement de cet idéal, par ceux-là même qui en sont les dépositaires, ravive de vieux démons.

A cet égard, plus que tous autres, les pays fondateurs que sont la France, l’Allemagne et l’Italie, cœurs battants et originels de la construction européenne, doivent le comprendre mieux quiconque. La guerre en Ukraine, la coopération énergétique pour mieux assurer notre autonomie et relever le défi de la décarbonation, la défense de notre souveraineté industrielle face aux ambitions américaines et aux appétits chinois devraient au contraire obliger à une coopération sincère et solidaire dans l’intérêt national et européen de chacun, loin des clivages idéologiques éphémères, des rancunes parfois tenaces, et de rivalités certes réelles mais secondaires face aux défis que nous partageons étroitement.

Depuis plusieurs années, la crise de la dette, la crise migratoire mais aussi les débats parfois pernicieux et instrumentalisés sur la question des valeurs ont achevé de couper l’Europe entre le Nord et le Sud en ce qui concerne le premier enjeu, et l’Est et l’Ouest sur les seconds. L’Europe du Nord et de l’Ouest ayant souvent cherché à imposer son propre modèle et à s’accaparer parfois la direction que devait prendre la construction européenne. L’Europe, à défaut d’être unie dans la diversité, se risque à devenir divisée dans l’uniformité. Cruel paradoxe et désespérante confusion !

L’Italie mérite notre soutien et notre solidarité

Ainsi comme l’illustre tristement la regrettable escarmouche récente entre gouvernements français et italien, cet incident diplomatique ne doit pas nous faire perdre de vue que quelles que soient l’appréciation ou l’estime que l’on porte aux dirigeants d’un pays, l’Italie, en première ligne face à la question migratoire, mérite tout notre soutien et notre solidarité. La maîtrise de nos frontières communes est un préalable fondamental pour la protection de notre cohésion sociale, et pour la réussite même de l’intégration et l’assimilation des immigrés, qui doit transcender les clivages. Le net virage sécuritaire sur la question n’est d’ailleurs pas l’apanage de la coalition de droite conservatrice au pouvoir en Italie : au Danemark, la gauche sociale-démocrate est sur une approche sans doute plus restrictive encore.

L’Italie est un pays dont l’ensemble de la classe politique, malgré les déclarations tapageuses des uns et des autres, reste souvent profondément francophile et francophone, mais se plaint de n’être pas reconnue à la juste valeur de ce que son pays représente sur le plan civilisationnel et culturel pour l’Europe, mais aussi sur le plan industriel : son PIB en la matière étant semblable au nôtre, l’Italie restant par ailleurs la deuxième puissance manufacturière européenne.

Depuis longtemps, sachons le reconnaître et l’admettre, la France, engoncée dans un complexe d’infériorité vis-à-vis de l’Allemagne, et désireuse de regagner en prestige et en crédibilité sur la délicate question de la dette publique, a parfois eu, en guise de compensation, trop tendance à regarder de haut son voisin transalpin sans parfois prendre beaucoup d’égards pour ménager ses intérêts et son point de vue, pourtant, et au fond, bien moins éloignés des nôtres qu’on ne pourrait le penser, et ce indépendamment des nombreux gouvernements que l’Italie a connu ses dernières années…

Permanence des liens culturels et historiques et intérêts économiques bien compris

Engagés depuis plusieurs années dans l’accompagnement de projets industriels et sociétaux ambitieux qui unissent nos nations sœurs, piliers de la construction européenne, nous avons pu observer au travers d’une foule d’exemples parlants combien la permanence de nos liens culturels et historiques, et de nos intérêts économiques conjoints et bien compris ont su prévaloir par-delà les divergences idéologiques du moment.

Par exemple, aujourd’hui, après avoir longtemps été le fer de lance, avec l’Allemagne, de l’opposition au nucléaire, l’Italie s’intéresse de nouveau depuis peu de près à l’atome, et compte repenser l’ensemble de sa politique énergétique pour assurer son autonomie et renforcer sa compétitivité. Pour cela, encore faut-il que les déclarations vexatoires laissent la place à une coopération fructueuse dans laquelle la France pourrait, sans doute mieux que quiconque, faire profiter notre voisin de son expertise.

Persuadés que les acteurs économiques et la société civile ont leur rôle à jouer pour répondre aux rendez-vous de l’Histoire, quand le politique faillit parfois à assumer les responsabilités que celle-ci lui a confiées, nous sommes intimement convaincus que la Journée de l’Europe, symbole de paix et de coopération, doit se commémorer chaque jour, et, à travers des faits et des réalisations concrètes. L’heure est plus que jamais à le rappeler, et en l’occurrence, la relation franco-italienne s’y prête parfaitement.